Au mois d’avril dernier à Tokyo des femmes provoquaient un scandale en montant sur le dohyô pour secourir un homme victime de malaise, souillant cet espace sacré qui leur est interdit. Car dans la tradition shintoïste à laquelle est lié le sumo, les femmes sont toujours considérées comme impures. Le sumo est de fait traditionnellement un art martial masculin et pourtant le sumo féminin amateur existe et même, devient de plus en plus populaire au Japon : c’est le shin-sumo !

L’origine du sumo est difficile à dater avec exactitude. Si on en trouve la première trace écrite dans le Kokiji, le « récit des temps anciens » (qui réunit les mythes fondateurs du Japon) datant du VIIIème siècle, il est fort probable que la pratique de ce combat à mains nues soit plus vieille comme en témoignent d’anciennes peintures murales mises au jour. Le mythe fondateur du sumo repose sur un combat entre les dieux Takemikazuchi et Takeminakata qui aurait eu lieu il y a 2 500 ans pour le contrôle du Japon. La victoire de Takemikazuchi permit au peuple japonais d’acquérir la souveraineté du territoire.

Légendes mises à part, les combats de sumo étaient initialement des rituels shintô, dédiés aux dieux pour leur demander une bonne récolte. Au IXème siècle les techniques et les règles s’affinent et le sumo devient un art martial codifié. C’est à l’ère guerrière de Kamakura (1185-1333) que son efficacité est reconnue par les guerriers qui se mettent à le pratiquer comme les autres arts martiaux. Puis durant l’ère Edo (1603-1868) le Japon vit une période de paix qui permettra au sumo de prendre sa forme actuelle, donc strictement sportive, avec le système de liste et de rang. Le sumo devient ainsi le sport national du pays. Il finit de se professionnaliser entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle avec la création d’associations, de syndicats et de compétitions pour aboutir au sport que nous connaissons. Comme d’autres pratiques, le sumo n’a cessé d’évoluer au regard de la société.

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Ce bref rappel historique permet de comprendre pourquoi le sumo est resté jusqu’à nos jours un sport typiquement masculin, étant particulièrement lié à la pratique des arts guerriers dans une culture patriarcale. Pendant longtemps d’ailleurs les femmes n’avaient même pas le droit d’assister aux combats. Et pourtant les premières traces de sumo féminin « onna sumo » remontent à 500 après notre ère. Au XVIIIème siècle, les femmes pratiquaient également le sumo au sein de maisons closes, lors de combats opposant prostituées et aveugles. Cette activité dont la fonction était surtout de distraire des hommes fut jugée immorale et interdite en 1926.

Source : flickr

Depuis 1997 toutefois le sumo s’est ouvert aux femmes de manière plus formelle, des rencontres internationales avec des catégories de poids sont organisées, déchargées de connotation divine, mais en amateur seulement. Ces sportives suivent un entraînement tout aussi strict et rigoureux que leurs homologues masculins. Et elles sont décidées à obtenir la même reconnaissance professionnelle que les hommes malgré des préjugés encore tenaces notamment sur le physique. Un véritable parcours du combattant dans une société toujours très masculine. À l’heure actuelle, on ne compte encore qu’une femme pour 300 hommes sumo au niveau junior mais leur nombre est en constante augmentation.

Si les femmes ne peuvent toujours pas légalement participer à la ligue professionnelle japonaise divisée en 6 tournois majeurs, le premier Championnat du Monde féminin de sumo réunissant 17 pays a néanmoins vu le jour à Hirosaki (préfecture d’Aomori) en octobre 2001. En avril 2013 était organisé le premier tournoi international de sumo féminin à Sakai (préfecture d’Osaka). Des évènements qui constituent une avancée majeure dans l’acceptation des lutteuses féminines au plus haut niveau.

Autre élément non négligeable qui pourrait à terme peser d’un poids décisif dans la balance : la Fédération Internationale de Sumo aimerait voir la discipline inscrite aux Jeux Olympiques. Mais pour ce faire le sport doit être mixte ! Il s’agit aussi de revaloriser le sumo gangréné par des scandales à répétitions, de matchs truqués, de paris et de collusion avec les yakuzas. En parallèle du sumo traditionnel sacré, elle encourage donc la pratique féminine, même si les femmes sont encore loin de pouvoir fouler le dohyô sacré de l’arène Ryogoku Kokugikan, domaine des dieux. Il est d’ailleurs étonnant de constater qu’en matière de lieux sacrés des principales grandes religions, les femmes sont systématiquement mises à l’écart et jugées impures. Si les instances sont prêtes autant que les combattantes présentes, et que les mentalités sont enfin favorables au changement, le sumo féminin semble désormais promis à un bel avenir.

Poulpy vous laisse y réfléchir avec Yoko, un court métrage d’animation diablement bien réalisé sur le sujet.

S. Barret


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Sources : infosmaya / dosukoi.fr / dozodomo.com / grazia.fr / jujitsupassion / lefigaro.fr / dosukoi.fr / lemonde.fr /